Les cures merveilleuses du Docteur Popotame

« Il dessine très mal. Il fait des éléphants qui ne ressemblent pas du tout à des éléphants. Je les reconnais parce que je sais que ça doit en être. Il fait aussi toutes sortes d’autres bêtes qu’on reconnaît très bien quand il explique ce que c’est. »

C’est ainsi que le petit père Renaud, surnom du fils de Léopold Chauveau, définissait l’œuvre de son père. Si les histoires de Chauveau (1870 – 1940) ont basculé dans l’oubli, c’est que le monde du 20e siècle n’était pas prêt. Certains l’avaient pourtant bien remarqué : Topor le qualifiait de « génie méconnu ». Et précurseur, il l’est toujours. Cette œuvre si profondément singulière, affranchie des conventions et des conformismes, allie la force et la liberté du trait à celles de la narration.

On devine son passé de chirurgien pendant la Grande Guerre : animaux démembrés, puis recomposés ou bricolés. Son anticolonialisme, autrefois décrié, affleure. Son trait incisif, son encre noire ne concèdent rien. Mais on rit ! Connaissez-vous, aujourd’hui, un auteur qui fait exploser un boa ou édente un ogre avec la pince d’un curé ? Ouvrez donc, pour voir.

Pour le docteur Popotame, certain de la suprématie de la science – qui nécessite bien sûr quelques expérimentations aux conséquences parfois désastreuses – il n’y a pas de frontière entre le possible et l’impossible. La loufoquerie de ces Cures si pittoresques enchantent notre imagination, lorsque, avec la logique de l’absurde, elles résolvent à l’aide de scies, de manivelles, de peinture (Ripopotamin), de Popotacolle et de Popotapompe, les accidents survenus aux animaux, permettant aux lecteurs de dédramatiser les situations. Les multiples allusions d’ordre scientifique ou publicitaire, en lien avec le récit, l’enracinent dans sa temporalité en l’enrichissant.
Ce récit très engagé, précurseur d’un courant anticolonialiste après Macao et Cosmage d’Edy-Legrand, est le plus important du recueil, qui d’ailleurs porte son nom. Il est suivi de deux autres histoires d’animaux : celle du Petit Phoque, qui rêve d’être l’ami d’un ours blanc et se retrouve au plus près de lui, logé dans son estomac, et celle du Boa et du Tapir. Ce dernier, avalé par le serpent, n’a pas dit son dernier mot… Le livre se termine avec l’Histoire de l’Ogre, nourrie de clins d’œil aux Contes de Perrault, avec quelques ingrédients du Petit Poucet, du Petit Chaperon rouge mis à la sauce Chauveau.

Avec une grande liberté d’expression, Léopold Chauveau a donné libre cours à sa fantaisie en écrivant et dessinant des histoires pour ses enfants. Adepte de l’éducation nouvelle, il n’a pas hésité à faire intervenir ces derniers dans la construction de son livre, donnant ainsi à celui-ci une saveur inimitable. Leurs dialogues, mis en exergue au début et à la fin de chaque histoire, transcrits sous le nom générique du Petit Père Renaud, charpentent et rythment le livre. Ses dessins très spontanés donnent vie à ses personnages d’un coup de plume, les imprimant dans leur mouvement grâce à des cadrages surprenants et à l’utilisation de gros plans.  Ils créent des points de vue saisissants, comme celui de l’ogre à qui l’on arrache les dents. Ses innovations ne s’arrêtent pas là : en grand amateur de cinéma, il en a aussi transposé la technique pour figurer le temps dans l’espace de la page, comme dans la scène, répétée trois fois à la suite, où seul le mouvement nécessaire à l’action de l’éléphante est décomposé. En fin connaisseur, il fait coïncider cette durée avec le temps du tourne-page propre à la lecture.

Léopold Chauveau

ean 9782352892731. 20 €

Impression en noir et blanc.  

176 pages. Reliure toilé. 24 x 16,5 cm.

Novembre 2016.
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